poste vacant scénario inventé

L'obscurité s'emparait peu à peu de la bâtisse aux murs délavés, répandant sa noirceur au centre de l'édifice assombri par le ciel nuageux, des éclairs zébrant tantôt les cieux couverts. La lune, ronde et pleine, éclairait de sa faible clarté le quartier délabré, presque en ruines, un unique lampadaire se dressant sur le trottoir boueux et inégal, nu. Une pluie diluvienne s'abattait avec violence contre les vitres teintées de l'immeuble qui semblait prêt à s'écrouler sur ses fondations, rendant finalement l'âme après de longues décennies de loyaux services. Abandonné, ni plus, ni moins. Les lieux avaient été désertés depuis des lustres et seuls quelques voyous trop audacieux osaient s'aventurer à proximité du bâtiment, roulant des épaules sous les rires gras de leurs amis. Après tout, que pouvait-il leur arriver, ici, où personne ne mettait jamais les pieds ? Rien, ils en étaient convaincus. Leur sécurité était assurée et ils avaient le loisir de couvrir d'immondes graffitis les murs en tout impunité, les forces de l'ordre ne se préoccupant guère de cet endroit délaissé. Rien, rien ne pouvait leur arriver. Ils se pensaient invincibles, intouchables, comme si aucun imprévu ne surviendrait inopinément tant qu'ils resteraient là, bien tranquillement, entre eux. Ils ne pouvaient pas se tromper davantage.

Au cœur de l'édifice reposait une créature qui défiait toute logique, outrepassant les lois de la science moldue. Une bête aussi cruelle que barbare, selon les légendes, aux crocs acérés et aux griffes affutées. Un monstre aussi féroce que mortel. Ses yeux jaunes, pailletés de doré, glaçaient d'effroi quiconque croisait son regard et faisaient frissonner les plus téméraires. Du moins était-ce ainsi qu'il était décrit au travers de vieux manuscrits moldus, souvent inexactes, il fallait l'avouer. La majorité des gens affirmaient qu'il ne s'agissait que d'anciens contes servant à effrayer les enfants turbulents, les parents criant au loup tout en se promenant gaiement dans les bois, à l'abri du danger. Cependant, entre ces murs fissurés résidait l'incarnation de ce mal, en chair et en os. Un loup-garou. Eh oui, ils existaient bel et bien et hantaient sinistrement les caves, les greniers, les taudis lorsque la pleine lune faisait son apparition, vrillant ses faisceaux lumineux sur les esprits en ébullition des pauvres humains maudits. Oui, maudits. Une malédiction, une maladie, une plaie purulente, la lycanthropie était traitée de tous les noms, à l'instar des hommes souffrants, traînée dans la fange, descendue plus bas que terre. C'était une honte, un tabou qu'on ne pouvait décemment évoquer lors d'une discussion badine. On se taisait et on détournait les yeux, comme révulsé par de tels propos. Néanmoins, la lycanthropie était bien réelle, tout comme l'être humain transformé qui peinait à garder sa conscience, recroquevillé dans un coin de sa tête, attendant patiemment que la nuit ne s'écoule, laissant place aux premiers rayons du soleil et à l'aube naissante. Un spectacle époustouflant qu'il ne pouvait pas apprécier, subissant la souffrance indicible de la métamorphose, perdant ses allures de bête pour redevenir humain, ou plutôt humaine.

Les paupières clauses, la respiration erratique, Maelys – ou le peu de conscience qui lui restait - sentait ses griffes gratter contre le sol terreux de la pièce, le cri du vent se répercutant contre la porte scellée. Il n'y avait aucune issue, les fenêtres barricadées, des chaînes condamnant les entrées. Chaque mois, endurer ce calvaire, immanquablement, guidée par les conseils parfois distraits de sa mère, son seul parent. Elle ne pouvait rester chez elle, trop pauvre pour se procurer la potion Tue-Loup, onéreuse et récente. Les jours défilaient, tout comme les semaines, et la gamine se voyait enfermée chaque pleine lune au sein de cet édifice qu'elle exécrait tant, sa prison de fer. Parfois, un chat ou un rat parvenait à se faufiler entre les maillons, titillant de son effluve les narines de la créature, et se retrouvait entre les pattes du prédateur, ou plutôt dans la gueule. Elle n'avait plus aucun souvenir des tristes évènements survenus lorsque le nuit fuyait au loin, seulement de vagues réminiscences sans consistance, un flot de senteurs et de sensations qui lui échappaient, inexorablement. C'était peut-être mieux ainsi. Le tonnerre gronda de nouveau, un grognement vibrant dans la gorge du loup-garou, ses oreilles se dressant avec brusquerie sur son crâne, à l'affût. Quelque chose approchait, elle le sentait... ou quelqu'un.

Pauvre hère à l'existence éphémère, marionnette du destin, gesticulant faiblement entre ses fils tendus. Le bougre ignorait tout du malheur qui s'apprêtait à le frapper, tout comme la jeune Maelys, disparue depuis l'apparition de la lune. Seule la créature subsistait, en ces instants fatidiques et elle se repassait à l'avance du massacre qu'elle allait commettre, sa longue langue pourléchant ses babines retroussées. Dissimulé dans la pénombre, le monstre se cachait, attendant le moment propice pour surgir. Un chasseur dans toute sa splendeur, ou toute sa laideur. L'ouverture de la porte, bien trop ardue pour un loup-garou transformé, constituait un jeu d'enfant pour un adolescent malicieux, et bientôt le brun fit un pas dans la pièce peu éclairée, ses yeux hagards parcourant la salle. Un pas de trop. La bête bondit, griffes en avant, et le cri de sa proie mourut dans sa gorge alors qu'elle expirait sur le coup, son dernier souffle en lambeau n'atteignant pas les oreilles humaines de Maelys, seulement celles de la créature. Tout se passa en l'espace de quelques secondes et le silence revint aussitôt, le loup-garou trop concentré sur la rivière vermillon qui se formait sous ses pattes pour remarquer la liberté qui s'offrait à lui, tendant les bras, prête à l'accueillir : la porte ouverte.

Le lendemain, lorsque Maelys, redevenue humaine, se réveilla, il n'y avait plus trace du carnage de la nuit, seulement son frère, d'un an son aîné, et sa mère qui lui souriait doucement, lui caressant ses cheveux roux en un geste apaisant. Elle avait nettoyé derrière le monstre, comme chaque fois qu'un incident arrivait. Et elle n'en pipait mot, préservant l'enfant. Mais son fils, lui... il savait tout, il voyait tout. Et il lui en voulait, terriblement. Pour détruire son enfance, pour s'accaparer leur mère, pour la mort de leur père. Lui, il était normal. Le gêne ne l'avait pas contaminé alors qu'il n'était encore qu'un fœtus. Sa petite sœur n'avait pas eu cette chance... mais il s'en moquait. C'était de sa faute. C'était plus simple ainsi. Alors, la gamine se redressait, soulevée avec délicatesse par sa mère, tandis que le garçon suivait avec révulsion, deux pas derrière, fusillant du regard sa cadette. Personne ne le remarqua.

Allez, Lys, dépêche-toi ! Le repas va bientôt commencer et je meurs de faim... Un genou en terre, Maelys hocha distraitement la tête, s'attirant un soupir courroucé de la part son amie impatiente. Attends, je refais mon lacet... Pars devant, je te rejoindrai après. La fillette ne se fit pas prier et décampa sans demander son reste, adressant un dernier regard à la rousse, rejoignant les autres deuxième année. C'était le premier septembre, le jour de la rentrée, et les gamins exaltés s'entassaient dans les calèches en direction du château, bavardant d'un air surexcité tout en se racontant leurs vacances. L'atmosphère était à la joie et chacun rêvait de se retrouver installé à sa table, prêt à dévorer le repas qui apparaîtrait après la répartition et le discours du directeur. Maelys ne faisait pas exception à la règle et lorsqu'elle eut terminé de réajuster ses chaussures, elle se redressa avec entrain, ses yeux clairs parcourant la clairière presque déserte. Il ne restait plus que quelques retardataires, dont certains qui regrettaient visiblement leur foyer, la mine sombre, traînant des pieds. Haussant ses minces épaules, la rousse leur passa devant, contournant un arbre touffu pour se retrouver face à face avec... un sombral.

Une créature aussi répugnante qu'effrayante, disait-on, et dont la présence était synonyme de mauvais présage. Il n'y avait rien de plus faux, bien entendu, mais la bouche entrouverte, Maelys ne pouvait détacher son regard du cheval squelettique qui vrillait vers elle ses yeux de nacre, ses naseaux frémissant au rythme de sa respiration. Ses membres semblaient paralysés et, incapable du moindre mouvement, la fillette dévisageait avec effroi le cheval ailé, son museau de dragon provoquant un frisson le long de sa colonne vertébrale. Elle avait entendu des rumeurs circulant à propos de ces créatures, des cinquième année assurant qu'elles résidaient bel et bien à Poudlard, mais la gamine n'en n'avait rien cru et voir ses illusions balayées pour confirmer ses doutes la figeait sur place, cependant... Ce n'était pas tant l'existence de ces êtres attirés par le sang qui bloquait son souffle dans sa poitrine mais plutôt son implication. Comment pouvait-elle les voir ? Elle savait pertinemment que ce macabre privilège n'était réservé qu'à ceux qui avaient vu la mort de leurs yeux, ce qui n'était pas son cas. Du moins... pas en tant qu'elle-même. Son cœur pulsait frénétiquement contre sa cage thoracique alors que ses pensées se bousculaient dans son esprit, tentant de se remettre en ordre, de ne pas céder à la panique qui menaçait cruellement de la submerger. C'était impossible, elle n'avait pas... elle n'avait pu... elle n'aurait pas dû pouvoir les voir !

Les yeux écarquillés, elle ne pouvait plus bouger, des larmes silencieuse brouillant sa vue, dévalant ses joues presque blêmes pour se perdre dans son cou. Si ce n'était pas elle, c'était lui. Il n'y avait que lui qui aurait pu, c'était forcé. Et personne ne lui avait rien dit... Soudain, une pression sur son épaule la fit sursauter et la rousse se retourna, rencontrant les orbes noisettes d'un septième année aux sourcils froncés par l'inquiétude. Eh, ça va, gamine ? Déglutissant péniblement, Maelys essuya ses larmes du revers de la main, se reculant légèrement, hochant la tête. Oui, oui... Sa réponse ne parut pas le satisfaire mais il n'insista pas, probablement pressé de dîner, inconscient de la scène qui se jouait présentement devant lui Ne traîne pas trop, le repas va bientôt débuter. Elle soupira doucement avant de lui emboîter le pas, son cœur toujours emballé, le regard résolument fixé sur le dos du garçon à la chevelure ébène. C'était lui. Elle le savait, à présent. On lui avait menti. C'était elle.

Infime espérance réprimée avec peine, refoulée jusqu’aux tréfonds de son âme meurtrie, son cœur mutilé pulsant frénétiquement contre sa poitrine douloureuse. Ses pensées se bousculaient, furibondes, virevoltant avec brusquerie dans son esprit embrumé par la crainte et l’appréhension tandis que des frissons parcouraient son corps, pernicieux, sa silhouette fine prise de soubresauts. La gorge contractée, la jeune fille scrutait l’adolescent d’un œil morne, l’affliction et le désespoir se mêlant à ses sanglots étouffés. Sa rancœur s’amoindrissait au contact du garçon qu’elle guettait discrètement de ses yeux clairs et son chagrin s’en retrouvait accru, intensifié par la rage qu’elle percevait dans les mouvements saccadés de son frère, la tension présente dans ses gestes équivalant à mille discours emplis de fiel. Ses tempes brûlantes l’étourdissaient et d’inquiétantes palpitations secouaient son organe vital, battant furieusement dans sa cage thoracique sans qu’elle ne puisse l’apaiser. Déglutissant faiblement, la rouquine ravala sa bile et tenta de reprendre contenance, en vain. Elle ne pouvait détacher son regard de cet être qui partageait son sang et qui pourtant la repoussait aussi certainement que la Potion Tue-Loup, forçant le monstre à rebrousser chemin. Cet enfer infernal qu’elle ne parvenait à fuir la rattrapait inéluctablement et lui infligeait des tourmentes qui la blessaient au plus profond de sa chair, marquant son esprit d’une empreinte indélébile qui la poursuivrait à jamais. Elle se sentait persécutée par ces yeux si froids, ne semblant pas la voir, passant sur sa personne avant de s’en détourner avec un dédain aussi implacable que ses paroles. Elle voulait hurler, se lever et abattre sa main sur son épaule pour lui signifier le fond de ses pensées, pour lui renvoyer sa tristesse en plein visage et lui faire réaliser l’étendue de sa cruauté, agissant avec un courage qu’elle ne possédait pas.

Au lieu de cela, Maelys se complaisait dans son malheur qui perdurait depuis bien trop longtemps, à son humble avis, et s’entêtait à espérer, petite sotte s’accrochant comme une démente à l’ombre de son frère. C’était aussi futile que superflu, elle le savait, et pourtant… Blake, en dépit de tout, demeurait son frère aîné, qu’importe ses idéaux et la haine presque tangible qu’il nourrissait à l’égard de sa sœur. Trop naïve, la jeune fille croyait en un avenir qui détruirait les barrières érigées par Blake afin de se dissocier de sa cadette, en un futur plus radieux, moins sombre et ténébreux pour la fratrie Dixonn. Peut-être se leurrait-elle, mais la rousse refusait d’abandonner comme son frère l’avait fait et continuait ses essais infructueux, qui se soldaient immanquablement par un cuisant échec. Inspirant doucement, l’adolescente capta l’attention du jeune homme par ce changement brusque et entreprit d’engager la conversation, une certitude lui glaçant la nuque déjà installée dans son esprit. Blake, écoute... C’était trop tôt, ou bien trop tard. Ne gaspille pas ta salive, ce que tu as à dire ne m’intéresse pas. Et il s’en fut, laissant derrière lui une Maelys plus dépitée que jamais, le cœur au bord des lèvres mais habituée à un tel traitement. Elle ne lâcherait pas l’affaire.


Pauvre gamine esseulée parmi les siens, délaissée au cœur de cette marée humaine qui l'isole un peu plus chaque jour, détruisant peu à peu ses espérances, intimes illusions qu'elle nourrit pourtant avec passion. Il la ronge de l'intérieur, raffermissant son emprise sur son âme mutilée, la guidant vers cette fin inéluctable qu'elle lorgne indécemment mais qui pourtant la rejette, autant qu'elle l'attire. Son esprit enfiévré tente de le repousser mais elle sait au plus profond d'elle-même quelle ne peut se soustraire à son joug, que leurs deux êtres n'en forment qu'un, unique, indissociable et lié pour l'éternité. Il est elle, elle est lui, aussi déplaisant cela soit-il. Elle, la petite rousse cabocharde et travailleuse, malicieuse et pleine de gaieté, et lui, le monstre assoiffé de sang, impatient de se repaître de chair, de déchirer ses rêves de ses crocs luisants. Une même entité qui ne cherche qu'à se dissoudre, mais qui ne le peut.

Elle le hait, autant qu'elle se hait de constituer l'hôte de cette créature qui la hante jour et nuit. Elle voudrait la blesser, la frapper, lui faire mal, la chasser, au lieu de cela elle la nourrit, la dorlote, et la laisse prendre le pas sur sa conscience. Elle se perd davantage qu'il n'y paraît dans cet échange tacite qui la révulse, et son déclin silencieux demeure inconnu de tous. Pourtant, au fond d'elle-même, elle sait qu'elle n'y est pour rien, que c'est lui qui l'a choisie, aussi sûrement qu'il n'a pas choisi son frère mais qu'il l'a préférée à lui. Elle devrait en être honorée, elle devrait chérir ce don, mais celui-ci s'apparente bien plus à une malédiction pour qu'elle puisse l'accepter. Il la dévore littéralement et attise la flamme du mépris chez Blake qui la tient pour responsable de leurs malheurs, lui qui ne peut comprendre ce qu'elle endure. Elle ne lui en veut pas, il n'y est pour rien. Lui, cependant... Lui, est le seul fautif. Lui, ne mérite pas le pardon. Oui, petite fille, mais lui, c'est toi.