poste vacant scénario inventé

« Sur l'eau calme voguant sans trêve...
Dans l'éclat du jour qui s'achève...
Qu'est notre vie, sinon un rêve ? »
lewis caroll

Le bruit des vagues qui viennent lécher le rivage berce ses jours, ses nuits, chaque fois qu’elle a l’occasion de s’échapper de la triste et imposante bâtisse qui, seule, la voit vraiment grandir. Elle a toujours trouvé l’orphelinat très impersonnel, digne de ceux que l’on voit dans les films en noir et blanc. Dans les dramatiques. Mais la plage de galets qui s’étend derrière, elle, elle a un charme sauvage et insaisissable qui égaye le quotidien de la petite. Ce soir-là encore, ses boucles brunes rebondissent lestement contre ses épaules, alors qu’elle court jusqu’à ce fragment de paradis qu’elle a déniché, et duquel les surveillantes de l’orphelinat ne viennent trop souvent la tirer à son goût. Elle s’assoit sur la jetée, les genoux repliés tout contre elle. Son regard se perd au loin. Et elle se demande s’il y a un monde au-delà des flots. Elle se demande si, un jour, elle aura le droit de le connaître. Le bruit des vagues qui viennent lécher le rivage la berce, elle finit par fermer les yeux. Cette impression d’être coupée de tout ici, là où les flots viennent échouer, à son image. Cela fait six ans. Six ans, qu’elle vit ici. Elle n’ose même pas se dire qu’elle y « habite. » Parfois, elle se demande pourquoi est-ce qu’elle est là, pourquoi est-ce que papa et maman sont partis si tôt. Mais elle ne se plaint pas. Même si elle est impatiente de connaître ceux qui l’emmèneront et qui lui offriront tout ce qu’il lui manque.

La vérité. La vérité, elle ne la connaît pas. On lui a dit qu’elle s’appelait Suldrùn Angeline, qu’elle avait le sang pur. Que ses parents étaient décédés un an après sa naissance, le deux novembre 1980 à l’hôpital Sainte-Mangouste. Mais elle n’a pas posé de questions ; elle est trop jeune encore, et on lui a dit de ne pas le faire. Au début, ça l’a fait souffrir, de ne pas savoir. Tellement, qu’elle s’est promis de toujours être sincère, de toujours être franche, persuadée que ça éviterait de blesser des gens. Et puis, alors qu’elle a six ans – dont cinq bien longs qu’elle a passés à méditer, seule assise sur les galets de sa petite plage, – un couple prend rendez-vous avec la directrice de l’orphelinat miteux. Il rencontre toutes les petites filles, âgées de trois et quatre ans. C’est un couple de sorciers, les Carlton. Un couple tendrement amoureux, mais qui ne peut pas avoir d’enfants. Seulement, aucun de ceux de l’orphelinat ne retient leur attention. Aucun, sauf elle. Sauf Suldrùn, cette petite qu’ils aperçoivent et qui les fascine. Deux semaines plus tard, celle-ci est assise sur son nouveau lit, dans une petite chambre lumineuse qui sent la fraîcheur et le neuf, et dont les murs sont vierges pour qu’elle puisse y coller ce qu’elle désire. Elle regarde par la fenêtre. Dans sa tête résonne son nouveau nom. Suldrùn-Eden. Nilow et Joy y ont tenu. Ils disent que ça les rapproche un peu plus d’elle, d’avoir pu lui donner un prénom eux aussi, un prénom de leur choix. Au fond, ça ne la dérange pas. Au moins, la voilà devenue quelqu’un.

« Tu dois vivre dans le présent,
te lancer au-devant de chaque vague,
trouver ton éternité à chaque instant. »
henry david thoreau

Trois ans s’écoulent. Et les Carlton décident d’adopter une seconde fille, Presley. Les cheveux d'un noir d'ébène, les grands yeux d’un vert émeraude envoûtant. Elle est d’une magnificence rare, et son visage renfere une mélancolie bouleversante. Suldrùn, avec sa joie de vivre inouïe, complète la fillette pour voir renaître une once de bonheur en celle-ci – qui a été abandonnée par ses parents moldus n’ayant aucune connaissance de la magie, lorsqu’ils ont assisté à la démonstration prématurée de ses pouvoirs et pris terriblement peur, la croyant monstre. Ayant eu vent de cette triste histoire, les Carlton ont été chercher Presley dans l’orphelinat moldu où elle a été placée. Lui expliquant l’origine de ces phénomènes étranges qui ont lieu autour d’elle. Presley est d’un an la cadette de Suldrùn, mais elles sont aussi proches que des vraies sœurs et ne sont pas si différentes que ça, sur le plan physique.

Deux ans encore. Suldrùn a fait trembler les lumières, renaître un papillon et brisé quelques verres. Elle décachète sa lettre pour Poudlard, suivant d’un œil brillant la fine écriture d’Albus Dumbledore, et découvre la joie d’ouvrir sa première chocogrenouille. Le Choixpeau l’envoie à Gryffondor, elle est applaudie et reconnue de tous pour la première fois de sa vie. Elève curieuse de tout connaître, elle n’est néanmoins que peu sérieuse, effectuant ses devoirs au minimum, juste ce qu’il lui faut pour s’en sortir avec des notes correctes bien en dessous de son niveau. Elle a plein d’amis, plein d’ennemis, et aussi… plein d’admirateurs. Parce que la petite Suldrùn est déjà vraiment très jolie, et que les professeurs interceptent, parfois, les dessins vivants que lui envoient ses prétendants, au beau milieu d’un cours. Elle est quelqu’un d’entier, d’une franchise assommante. En cela au moins, elle est fière : elle a tenu sa promesse. Mais elle apprend aussi chaque jour qu’être trop sincère peut autant faire souffrir les autres que le fait de les tromper… Seulement, elle est incapable de se cacher derrière le mensonge.

Lorsque Presley rentre à son tour à Poudlard, chez les bleus et plus sages, Suldrùn l’accompagne sur le Chemin de Traverse. Et elle lui offre un chaton, une minuscule boule de poils noirs que sa sœur appelle Nyx, en référence à la nuit. Leur vie semble s’être encrée dans un bonheur inatteignable, infatigable. Preuve que même une famille séparée par le sang peut être aussi unie que les autres. Malgré les troubles qui agitent le monde magique pendant leur scolarité, les deux filles Carlton ne se sentent pas si concernées. Elles laissent le monde tourner et tournent avec lui. Les années s’écoulent. Qu’il est loin, le temps où le regard de la jolie brune se perdait au-delà des flots…

« La vie n'est qu'une longue perte
de tout ce que l'on aime. »
victor hugo

Plus le sable s’écoule, plus les temps deviennent troubles. Il y a cet homme – quoique Suldrùn ne le trouve pas même humain – qui cherche à retrouver son pouvoir. Voldemort. Le responsable de la première guerre, ou plutôt du premier massacre. La brune a entendu parler des meurtres innombrables qu’il a commis de sang-froid et le fait est qu’elle ne le craint pas. Mais plutôt, qu’elle est déterminée à le repousser si jamais il renaissait de ses cendres. Et puis, il y a ce garçon. Ce Harry Potter, cet… comment dit-on, déjà ? Cet élu. Elle ne sait pas exactement en quoi consiste son combat, mais elle est fermement décidée à en faire partie. Lors de sa cinquième année, elle entre dans l’Armée de Dumbledore. Ses parents désapprouvent sa situation bien trop engagée à leur goût. Puis, le temps s’écoule et Suldrùn apprend l’existence des horcruxes, ces objets – chacun contenant une partie de l’âme du Lord, – qu’il faut détruire pour avoir une chance de l’abattre, de l’éradiquer au même titre qu’il a exterminé tous les sorciers nés moldus, et tous ceux qui ont eu l’audace de lui résister, il y a des années de cela. La détermination coule plus que jamais dans le sang de l’adolescente. Inconsciemment, peut-être, l’injuste crime de ses parents se réveille t-il dans ses veines, alors qu’elle n’a toujours aucune connaissance de la triste vérité. Et puis, Potter s’en va, en quête des horcruxes. Sauf qu’il ne revient pas. A t-il fui, s’est-il fait prendre ? Suldrùn ne sait pas. Elle n’écoute pas les rumeurs ni ne s’avance, mais elle comprend. Elle comprend que le Lord va revenir plus présent que jamais. Le processus est déjà en marche. Avec Rogue à la tête de Poudlard et avec les Carrow, nouvelles recrues – ou, plutôt, nouveaux bourreaux… Suldrùn sait. Que les nés-moldus sont en danger. Que Presley est en danger. Et elle a raison. Il est trop tard pour cacher la nature du sang de la jeune fille. Tout le monde sait… Suldrùn s’agenouille devant sa sœur. Ses mains agrippées aux manches de sa veste. Elle la regarde, suppliante, et lui demande de ne pas revenir à Poudlard. Pas cette fois. Elle doit se cacher… Les mangemorts, les rafleurs ne doivent surtout pas la retrouver. Presley acquiesce. Elle sait ce qu’elle risque, et son beau visage, son triste visage se ferme à mesure que ses yeux se remplissent de larmes.

La rentrée arrive. Et, à peine quelques jours plus tard, une lettre. Amycus Carrow la tend à Suldrùn, un rictus mauvais sur le visage. Suldrùn se saisit de l’enveloppe, sentant intuitivement que quelque chose de grave est survenu. Elle déplie le parchemin, le lit. Le relit. Encore, et encore. Chacun des mots que sa mère adoptive lui a écrits la frappe de plein fouet. Ils sont venus… Ils sont venus la chercher. Ils ont enlevé Presley. Il est rare que des larmes viennent parer les joues de Suldrùn, très rare. Mais cette fois, elles coulent. Elles coulent, et la jeune fille ne s’en rend compte qu’au moment où elle voit trop flou pour encore distinguer les écrits de Joy. Pourquoi ? Pourquoi lui a t-on transmis cette lettre, malgré la censure ? Voulait-on la dissuader de se rebeller ? « On a ta sœur, sois sage. » Ils se sont trompés. Parce que ça ne la fait que redoubler de volonté, sa rage se décuplant à chaque relecture de la description du drame… Suldrùn ne sait pas si ils l’ont tuée. Elle ne veut pas y croire, elle se persuade que ce n’est pas le cas. Mais au fond, tout au fond… Une insupportable voix lui chuchote que c’en est fini de sa sœur, et de ses grands yeux verts. C’est pire que mille doloris jetés en même temps, c’est pire qu’un poison se diffusant dans ses veines. C’est pire que tout.

Ce soir-là, Suldrùn s’enferme dans la salle de bain. Elle se tient droite face au miroir, cherche dans ses traits ceux de Presley. Si seulement elle pouvait la retrouver… Déchirure. Vide. Immense vide. S’était-elle rendu compte qu’elle tenait autant à sa petite sœur ? Elle pense à ses parents, qui à l’heure où elle se sent perdue, doivent l’être plus encore. Elle ne peut chasser de son esprit les mains sales des rafleurs se saisir d’elle, elle qui est si fragile… Elle ne peut chasser cet éclair vert non plus, ni le corps frêle de la jeune fille s’effondrer sous l’emprise de la mort. Presley, disparue… C’est ce que sous-entendaient les mots de sa mère, et pourtant… Non. Non, elle ne peut y croire, ce n’est pas possible… Son reflet lui apparaît soudain hideux. Elle a envie de briser le miroir, elle s’en veut. Elle se dit que si Presley était restée à Poudlard, alors elle aurait pu veiller sur elle… La protéger de tout, et contre tous. Suldrùn détaille, une fois de plus, ses traits, à la recherche d’une ressemblance… Mais elle ne supporte plus de se voir telle qu’elle est. Elle fouille dans un tiroir. Sa gorge se serre. Elle attrape la paire de ciseaux. Ses poings se ferment, ses phalanges blanchissent et sa mâchoire crisse. Elle empoigne une mèche de sa longue chevelure ondulée. Ses sourcils ploient sous la rage qui l’habite. Le sang bat dans ses tempes. Elle a envie de hurler… Le bruit des lames qui se referment d’un coup sec. Dans le lavabo, les cheveux viennent dessiner des arabesques brunes sur le blanc immaculé de l’émail. Elle ne voit plus rien, les larmes lui brouillent la vue, mais elle continue de couper. Frénétiquement. Comme si en changeant, elle était capable de changer la donne. D’atténuer sa souffrance. Le bruit des lames qui se referment, de plus en plus vite, de plus en plus fort, et les mèches qui s’abattent… Adieu jolie chevelure dans laquelle tous les garçons rêvaient de laisser leurs doigts se faufiler… Et, soudain, une douleur aiguë arrête Suldrùn. Elle lâche la paire de ciseaux qui vient cogner dans un bruit sourd contre l’émail, et une grimace lui tord les traits. Retour à la réalité. Du sang coule entre les doigts de la main qu’elle appuie contre son oreille. Elle sèche ses larmes du revers de l’autre, et accroche de nouveau le regard de son reflet…

Fini, les bouclettes qui se balancent joyeusement le long de ses épaules.